Reconvertir
Chaufferie de l’Antiquaille, Lyon (Rhône)

> Descriptif opération


Achevée en 2019, l’inhabituelle reconversion d’une chaufferie en logements, bureaux et espace d’exposition marque la phase finale de la transformation du site de l’Antiquaille.

Au pied des ruines du théâtre gallo-romain et en belvédère sur le centre historique de Lyon et ses développements urbains successifs vers l’Est, l’Antiquaille regroupe un imposant ensemble de constructions qui a changé de destination à plusieurs reprises au fil des siècles : demeure privée (1586), couvent des Visitandines (1626), hospice intégrant les Hospices civils de Lyon (1845). Devenu hôpital, cet ensemble connaît ensuite une destinée complexe, bien qu’il soit agrandi, restructuré, modernisé. Il est finalement désaffecté en 1999 et mis en vente.

À la suite d’une compétition entre promoteurs européens organisée par les Hospices civils de Lyon, cet ensemble immobilier est acquis par la Société anonyme de construction de la ville de Lyon (SACVL). Fondée par Édouard Herriot (1872-1957) en 1954, cette société doit développer un projet étudié par la municipalité de Raymond Barre, dont se saisit, pour le structurer et le conduire à son terme, la municipalité de Gérard Collomb, élu maire en 2001.

Dès 2000, un diagnostic architectural de chacun des bâtiments du site de l’Antiquaille est confié à l’architecte Pierre Vurpas. En 2002, à la suite d’une mise en compétition, l’Atelier Didier-Noël Petit, associé aux paysagistes Ilex, formalise le projet urbain. À la suite de son décès, cette étude est confiée à l’Atelier Thierry Roche et associés, toujours avec Ilex.

Le projet prévoit la destruction de certains bâtiments, remplacés par des immeubles de logements dont ceux conçus par Clément Vergely (Les Loges, 2010) et par l’atelier Thierry Roche (Odéon, 2022) aux abords immédiats de la chaufferie. D’autres, comme le restaurant de Christian Têtedoie, se glissent dans les espaces disponibles. D’autres constructions ont été reconverties. Parmi ces dernières, la chaufferie, un puissant volume de béton, a fait l’objet de plusieurs projets avant de trouver sa destination finale sous l’impulsion d’un investisseur privé, Éric Gagnière.

Descriptif de l’opération

Dans le cadre d’un projet de modernisation de l’hôpital établit en 1951, les Hospices civils de Lyon déposent, en juin 1955, le permis de construire d’une nouvelle chaufferie. Il leur est accordé le 13 octobre 1955. Celle-ci s’implante sur un ancien potager, face au bâtiment de l’administration, le long de la rue de l’Antiquaille. Cette parcelle est complexe : elle est soumise à la rectification de l’alignement de la rue qui la longe, elle est limitée par une forte déclivité périphérique, elle est amputée de la surface nécessaire aux manœuvres des véhicules notamment de livraison du charbon. Elle est également contrainte par la présence du tunnel du funiculaire de Saint-Jean à Saint-Just et par la voie ferrée de Lyon à Saint-Just.

La note d’accompagnement du permis de construire précise : « Ce bâtiment est prévu construit en béton armé et couvert en terrasse. À sa partie supérieure, il comportera un lanterneau facilitant la ventilation de la chaufferie. Les murs de remplissage seront en dalles de béton armé et de gravillons lavés, préfabriquées. Les baies entre piliers seront divisées par des meneaux en béton armé supportant des châssis également en béton préfabriqué sur lesquels seront posés les vitrages. »

Dans leur ouvrage L’Antiquaille de Lyon, Histoire d’un hôpital, René Mornex, Bernard Ducouret et Olivier Faure affinent le descriptif du bâtiment : « Il est composé d’une structure de poteaux en béton armé. Il contient vers l’Est un vaisseau unique ouvert, sur le toit en terrasse, par un lanterneau ; vers l’Ouest il abrite des étages et un escalier montant jusqu’au toit. Ces deux parties sont nettement marquées en façade : tandis que du côté du vaisseau des baies occupent toute la hauteur, dans la partie occidentale un fort bandeau divise l’élévation en deux niveaux. L’ajournement complet des côtés Nord, Ouest et Sud a été rempli par des meneaux et des traverses préfabriquées en béton armé qui jouent avec les niveaux différenciés, la porte haute et les portes secondaires pour créer une grande variété dans les élévations. Le dessin géométrique des vantaux métalliques des ouvertures complète celui du remplage. La façade orientale, aveugle, est parfaitement symétrique, centrée sur un avant-corps auquel est adossée la cheminée. Celle-ci est montée en éléments préfabriqués selon un procédé déjà utilisé par Tony Garnier pour la chaufferie de l’hôpital Édouard Herriot. Les hautes tables articulant cette façade sont remplies de dalles en béton de gravillons lavés dont le dessin évoque celui des fenêtres. »

Intérêt

Cette construction, généralement présentée comme un exemple du « modernisme classique », est l’œuvre conjointe de deux architectes lyonnais, aujourd’hui peu célébrés : Louis Weckerlin (1902-1981) et Pierre Bourdeix (1906-1987).

Le premier a notamment signé la Maison du peuple associé à un dispensaire d’hygiène sociale à Vénissieux (1935), la Caisse d’assurances sociales de Lyon (1935), le marché de gros de Lyon (1961), le Palais des sports de Gerland (avec Charles Delfante et Paul Guillotet, 1962), le siège de l’OPAC du Rhône (avec Zumbrunnen, Provost et Zol, 1973) et sur le site de l’Antiquaille, le pavillon Blanche Herriot.

Pierre Bourdeix a conçu le Pavillon de la Ville de Lyon à l’Exposition internationale de Paris (1937), le marché couvert-gymnase de Chambéry (1945), le barrage de Génissiat, la centrale hydroélectrique et les équipement collectifs liés au barrage à Injoux (1938-1950, avec Albert Laprade), les 2 607 logements de l’Unité de voisinage de Bron-Parilly (1953, avec René Gagès et Franck Grimal), le pont de la Guillotière (1954), l’extension du groupe scolaire Gilbert Dru (1955 avec André Guénard), la mairie et le théâtre du 8e arrondissement de Lyon (1968, avec Demangeot), le Home d’infirmières Lacassagne (1968, avec Alain Chomel), le Palais de justice à La Part-Dieu (1974, avec D. Cathaelin et G. Lapernon) et le Centre international de recherche sur le cancer (1972, avec Paul Guillot et Roland Mendelssohn).

Les deux hommes ont travaillé ensemble sur la reconstruction des blanchisseries des Hospices Civils (1954) et sur la chaufferie de l’Antiquaille.

Bien qu’il ne soit pas protégé, cet édifice fonctionnel est préservé de la destruction : il est distingué comme exemple de l’architecture « apaisée » que pratiquaient Tony Garnier (dont Pierre Bourdeix et Louis Weckerlin  furent les élèves) et Auguste Perret, préférée à celle, plus radicale, que signent André Lurçat puis Le Corbusier et leurs adeptes.

Cette attention conduit à une suite de projets de reconversion. Le premier est celui déposé en 2007 auprès de la SACVL par l’association « Maison des Cultures du Monde » qui prévoit de réhabiliter les lieux pour y développer ses multiples activités liées aux expressions artistiques. Une architecte, Charlotte Schoepen, est chargée de ce projet qui ne se concrétisera pas. En 2013, la chaufferie devient l’un des lieux de la Biennale de Lyon : les 300 m2 de sa grande salle sont occupés par « Control Club » une sculpture totem de Shang Ding qui installe également une vidéo dans la partie attenante. En 2015, un concours d’idées met en valeur une proposition de reconversion en hôtel du groupe Hirundi et un réaménagement en 1 100 m2 de lofts par l’architecte Albert Constantin associé à l’agence Kilinc pour la SCI PAG/ Éric Gagnière.

Caractéristiques de l’existant

À la suite de cette consultation, Éric Gagnière, promoteur immobilier spécialisé dans les plateformes logistiques, se porte acquéreur de la chaufferie. La proposition élaborée lors du concours d’idée infructueux fixe le cap qui sera désormais suivi tout en générant plusieurs variations programmatiques. Le lieu sera conservé, son esprit autant que son volume et sa structure dicteront la recherche de l’aménagement de l’espace, le programme associera logements et bureaux.

Procédure

Le chantier s’engage en 2019 sur la base de 30 logements avec les agences Supermixx et Fassio-Viaud. Devenue BFV (Bocabeille Fassio-Viaud), la seconde de ces deux agences étudie la version qui sera finalement exécutée : huit logements locatifs s’installent dans les deux niveaux inférieurs, des bureaux occupent un troisième niveau où ils délimitent l’espace de présentation d’œuvres d’artistes invités ou de la collection permanente, un quatrième niveau partiel étant réservé à la terrasse qui encadre un espace privé. À la demande du maître d’ouvrage, BFV s’adjoint l’agence de Pierre Minassian, AUM, comme architecte d’opération et comme concepteur des aménagements intérieurs.

Interventions

Les éléments techniques de la chaudière sont déposés avant la vente, mais le projet doit prendre en charge des travaux de déconstruction notamment du mur intérieur pour libérer intégralement le volume, des anciennes cavités techniques, des éléments de suspension ainsi que des éléments rapportés en façade…

Sans doute est-ce en application des principes de la Charte de Venise que les éléments de béton de façade absents ou à réparer sont remplacés, non par de nouveaux éléments coulés dans un béton léger mais restitués ou créés en bois, lasuré selon une teinte claire, façon béton, rendant impossible la dissimulation des nœuds du bois…  La logique du cheminement intellectuel ayant conduit à concevoir et exécuter un tel faux échappe. D’autant plus que la recomposition de séquences de façades rendue nécessaire notamment par la dépose d’appendices rajoutés (escalier, ascenseur), la suppression de l’auvent, les percements pour ménager les ouvertures indispensables aux appartements de part et d’autre de la cheminée, la modification de la teinte des bétons, confèrent à l’ancienne chaufferie une prestance de bon aloi. Comble de cette intervention : l’ensoleillement décolore la lasure… si bien que les éléments rapportés virent au rose…

Intérieurement, le résultat semble adroit : quatre logements de deux et trois pièces se partagent chacun des deux niveaux inférieurs. D’une disposition actuelle (séjour attenant à la cuisine équipée en coin repas, chambres séparées), ils offrent à leurs occupants le filtre inhabituel des claustras de béton situés devant les fenêtres.

Le troisième niveau joue avec la géométrie et l’impact spatial des poutres. Cet ordre inattendu délimite des alcôves, d’une hauteur limitée, ouvertes les unes sur les autres faisant office de salles d’exposition. Si bien, qu’associées à l’ouverture des bureaux et de la salle de réunion, tous généreusement vitrés, ces caractéristiques procurent plus l’impression de se mouvoir dans un lieu confidentiel que dans un centre d’art ouvert au public.

De robustes structures en acier brut épais composent l’escalier monumental conduisant à l’espace privé et à la terrasse, établissent un sol, marquent des seuils, soulignent un garde-corps, accusent le cadre d’une baie vitrée, constituent des plateaux de tables et génèrent des éléments de mobilier. Dans des espaces généreusement baignés par la lumière naturelle diffusée par les quatre façades et par le lanterneau de l’étage sommital, de telles notes foncées établissent un contraste tactile et visuel avec le béton brut et les cloisons rapportées peintes en blanc. Inversement, le regard est invité à se remémorer la fonction initiale du lieu : à travers les bureaux vitrés se perçoit la résille de béton de la façade aux rythmes géométriques, et dans la salle de réunion une échancrure ménagée dans le plafond fait surgir la partie haute de la cheminée…

Un processus de réflexion évolutif pour parvenir à une solution pragmatique, un chantier complexe et une exploitation de la mise en synergie des compétentes de professionnels, auront permis de conserver et d’ouvrir à de nouvelles fonctions un bâtiment technique complexe. Cette reconversion vient également rappeler que, la grande misère architecturale des ZUP, la chaufferie fut souvent le seul espace de liberté créative laissée à de grands architectes. Certaines d’entre-elles furent même bien d’avantage publiées que les immeubles qu’elles desservaient… Comme celle de l’Antiquaille, elles peuvent inspirer des projets originaux…

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