Rénover
Foyer de jeunes travailleurs, Saint-Étienne (Loire)

> Descriptif opération


Au tout début des années soixante, La Fraternelle commande à André Wogenscky la réalisation du foyer Clairvivre auquel cet office HLM stéphanois réfléchit depuis 1956 avec l’Association populaire des familles. Cet ensemble à caractère social se compose de 146 chambres individuelles pour jeunes travailleurs célibataires de 17 à 25 ans, de deux dortoirs de 12 lits chacun destinés aux jeunes apprentis et aux jeunes des écoles professionnelles âgés de 14 à 17 ans, de dix salles de vie collective, d’un restaurant en self service ouvert aux non résidents, des espaces administratifs et de trois logements de fonction.

Sur les 4 000 m2 d’un terrain étroit du Crêt de Roc, l’architecte dispose les fonctions selon un plan en U et utilise la forte pente pour ménager une vue sur la ville au bâtiment de second rang. Des espaces fluides, des pièces baignées de lumière naturelle, des volumes mis en couleur avec soin, des mobiliers fonctionnels caractérisent un édifice où tout est pensé pour socialiser les jeunes et les inviter à se familiariser avec l’esthétique de leur époque dans la logique de l’Éducation populaire.

Les années 2010 engagent l’indispensable rénovation de Clairvivre. Le résultat illustre deux logiques : celle du propriétaire qui raisonne selon les critères de gestion propres aux années 2010 et celle de l’association exploitante qui poursuit un projet généreux de socialisation des jeunes en difficulté. L’intervention architecturale qui en résulte hésite forcément entre simplification abusive, choix discutables et solutions opportunes. Alors que l’intervention sur les chambres entretient, via un travail patiemment élaboré, une flamme d’espoir.

Caractéristiques de l’existant

Simultanément à Besançon, où il conçoit la Maison des jeunes et de la culture, et à Annecy, où il signe les foyers et les équipements socioculturels et sportifs des Marquisats, André Wogenscky reçoit à Saint-Étienne une commande qui correspond à l’humanisme qu’il partage avec les organismes qui œuvrent pour l’insertion sociale des jeunes. Sans doute dans la mouvance des chantiers de Firminy qu’il réalise avec Le Corbusier, l’architecte est alors très sollicité à Saint-Étienne où, successivement, il s’intéresse à la rénovation du théâtre de la Comédie de Saint-Étienne (1959), édifie le foyer pour personnes âgées Lamartine (1958/1961), étudie l’implantation d’une Unité d’Habitation au sein de la ZUP de Montreynaud. Puis, il  se voit confier par la filiale lyonnaise de la Caisse des Dépôts et Consignations l’étude de l‘urbanisation de 25 ha du quartier Prison-Tréfileries (1962/1965), opération sensible pour laquelle Edgard Pisani, ministre de l’Équipement et du Logement, demande « un ensemble à forte densité avec une notable activité tertiaire » et Michel Durafour, maire de la ville réclame « une opération abusivement moderne. »

Il connaît donc bien le contexte particulier de la ville mais se trouve confronté à un projet délicat : « J’ai eu beaucoup de mal à faire tenir le programme demandé sur un terrain très exigu, très en pente, en évitant la caserne insipide » note-t-il. Sa réponse consiste à organiser les hébergements en trois entités, ce qui lui permet de disposer une aile de trois niveaux réservés aux « plus âgés » au-dessus d’une seconde aile de deux niveaux destinée aux « moyens » et aux appartements de fonction. Entre ces deux volumes, il ménage un vide équivalent à un étage, utilisable comme terrasse,  disposition qui permet à l’aile des plus jeunes, limitée à un étage juché sur de hauts pilotis et érigée parallèlement au bâtiment précédent, de bénéficier de la vue sur la ville. Ainsi, remarque l’architecte, « des fenêtres de leurs dortoirs, les plus jeunes voient un très beau paysage à travers l’aile double des aînés. » Assurant la relation entre ces volumes, les services collectifs (accueil, administration, restaurant, bibliothèque) referment la composition.

Autre point d’intérêt, la liberté avec laquelle l’architecte enveloppe de murs courbes les salles de réunion, de détente ou de loisirs. Ces espaces sont commandés par des entrées en chicane afin de supprimer les portes, dispositif qu’il reprendra dix ans plus tard pour concevoir l’hémicycle du Conseil général des Hauts-de-Seine au sein de la Préfecture de ce nouveau département. Selon André Wogenscky, ces formes plastiques librement réparties sur un seul étage du bâtiment central ont sur les jeunes occupants des lieux « une action favorable à leur repos, à leur détente et à leurs loisirs ». Il  énonce ainsi les prémices de ce qu’il dénommera « l’architecture active » dans l’ouvrage qu’il publiera une décennie plus tard. Participent de la même pensée, l’alternance de longues perspectives et de passages sinueux, les déambulations prolongées face au paysage urbain et le brusque surgissement d’un volume compact, les stations prolongées dans les espaces parallélépipédiques des moments de la vie collective et les formes circulaires des locaux dédiés aux temps de réflexion et de détente établis sur les toits-terrasses…

L’approche esthétique de l’architecte concerne aussi la couleur. Habituellement réduite à une palette combinant « du blanc, beaucoup de blanc, du noir, un peu de noir, et quelques tâches de rouge », elle s’épanouit ici. André Wogenscky affirme : « La polychromie a fait l’objet d’une recherche particulière de ma part. Très gaie, même violente à l’intérieur en fonction du dynamisme que je voudrais qu’elle communique à tous ces jeunes occupants, elle est plus grise, moins contrastée à l’extérieur, pensée en fonction de la lumière atténuée et mouillée de Saint-Étienne ». Effectivement, il libère sa palette jusqu’à déployer dans l’espace intérieur des jaunes vifs, des verts étincelants et des bleus sombres.

Enfin, il reste fidèle à sa conception de la chambre : bien qu’elle offre une surface pour travailler, elle se limite à un espace où dormir, précédé d’un coin toilette. La compacité des placards ou des éléments de rangement qu’il dessine contribue à en réduire la surface au strict minimum. Néanmoins, elle n’est pas perçue comme exigüe en raison des vues cadrées à travers les grandes baies vitrées ménagées en façade. S’exploite ici le principe adopté pour les Unités d’habitation qui est également décliné dans les habitations, maisons de retraite et immeubles de logements sociaux qu’il édifie. Munis d’une ouïe latérale pour l’aération, dotée d’un ouvrant pour la ventilation, équipée d’un double vitrage pour l’isolation thermique, cadrant le paysage, captant la lumière tout en filtrant les regards en partie basse pour le confort d’usage, ces éléments font partie intégrante des conceptions de l’architecte. Autre expression de sa conception de la sensualité de la matière, neuf bétons, différents dans leur composition, leur granulométrie et leur mise en œuvre, figurent dans le devis descriptif remis à l’entrepreneur de maçonnerie. L’ensemble de ces éléments contribuent au caractère « révolutionnaire » de cet édifice tel qu’il est perçu lors de son inauguration.

Procédure

Clairvivre connaît dès 1974 une transformation majeure : la cuisine, sa plonge, ses réserves, son local réfrigéré prennent place sous les pilotis qu’ils comblent intégralement. Les espaces libérés par ce déménagement sont affectés à une salle polyvalente. En 1978, l’équipe d’entretien interne procède à la réfection des façades et transforme les boxes des dortoirs en chambres individuelles. En 1979, des panneaux solaires sont disposés sur le toit-terrasse principal. En 1989 et 1990, le foyer entreprend de s’adapter à l’évolution des mœurs (les jeunes vivant en couple, les familles monoparentales), au contexte économique (les jeunes en difficulté ou au chômage), aux aides (APL), au confort (isolation thermique, chauffage).

L’exploitant se questionne sur son propre avenir : comment rendre l’immeuble utilisable à d’autres activités si le foyer cessait son activité ? D’importants travaux s’engagent  pour substituer dix-neuf logements (sept 3 pièces et douze 2 pièces) à trente-huit des chambres, moderniser les cent douze autres, rénover dans tout l’immeuble l’électricité, les peintures et les revêtements, renforcer l’isolation. L’entrée est totalement repensée et des locaux loués à des associations.

En 2003, une étude du Crepah diagnostique le bon état structurel de l’édifice, le vieillissement des menuiseries et des vitrages, des points d’infiltration et l’état problématique de la plomberie. Elle précède le second grand chantier de rénovation qui s’engage en 2011, bien que l’édifice  ait été proclamé « obsolète et inadapté » par son propriétaire, Cité Nouvelle. Effectivement, les interventions d’entretien, les réaménagements ou les restructurations partielles effectués depuis l’inauguration ont banalisé l’édifice et souligné son inadaptation aux normes thermiques et d’accessibilité. Ce bilan est d’autant plus « affligeant » pour le propriétaire que toutes les performances sont à présent passées au crible prépondérant des ratios financiers.

Interventions

L’objectif du maître d’ouvrage est de mettre l’édifice aux normes et les chambres aux conditions d’usage actuelles. Il est surtout d’accroître la capacité d’hébergement de Clairvivre et de diversifier son offre locative pour mieux en rentabiliser l’exploitation. La rénovation lourde s’engage selon des attitudes contrastées : des espaces et les signes architecturaux majeurs sont détruits (salles de formes ovoïdes, circulations, hall d’accueil…) ou rendus à l’état de résidus anecdotiques (escaliers métalliques) des espace remarquables sont rendus inutilisables (les salles de détente sur les toits-terrasses), des déconstructions heureuses interviennent (la restitution des pilotis, la dépose des panneaux solaires), d’autres sont oubliées (l’entrée), des erreurs usuelles sont consacrées (la peinture du béton brut)… Mais le point central de l’évolution alors engagée reste le comblement du niveau intermédiaire laissé vide afin d’étendre la capacité d’accueil du Centre à un public spécifique. Cette erreur spatiale majeure (une partie de l’hébergement se trouve désormais privée de vue) s’accompagne d’un choix architectural quasiment méprisant pour l’architecture d’origine et les occupants actuels et futurs : des panneaux en Trespan marron constituent la nouvelle façade. Cette démarche est étendue à l’ensemble des adjonctions selon une attitude de type monuments historiques consistant à rendre lisibles les interventions effectuées. Les pans de verre, éléments caractéristiques de cette architecture, sont « restitués » mais avec des différences telles que leur esprit est trahi. Ni authentiques, ni éléments relevant d’une attitude créative contemporaine, ils illustrent la ligne étroite séparant une réussite probante d’une maladresse durable…

Le réconfort vient de l’aménagement des chambres porté par l’association gestionnaire de l’établissement : elles sont design et colorées, dotées de rideaux qui déclinent en façade des touches colorées en relation avec les teintes favorites des adeptes du Mouvement moderne.

L’apprentissage de la rénovation est d’autant plus délicat lorsque le maître d’ouvrage se prive des concours externes à même de l’aider : ayants droits de l’architecte, organismes de logements sociaux ayant acquis une expérience similaire, ingénieurs expérimentés. Aussi, ses propos restituant sa démarche suivie excluent une vision culturelle et humaine de l’architecture et privilégient l’abstraction. Cité Nouvelle écrit ainsi : «  L’énergie de nombreux acteurs, la mobilisation des financeurs et la persévérance de l’association ont permis l’aboutissement de ce projet immobilier et mobilier design inédit, inscrit dans le grand projet Rhône-Alpes Design, en partenariat avec l’État, la région Rhône-Alpes, le département de la Loire, Saint-Étienne Métropole, la ville de Saint-Étienne, Entreprises-Habitat Action Logement et la Cité du design. »

CLAIRVIVRE 1963
  • Maître d’ouvrage : La Fraternelle
  • Architecte : André Wogenscky
  • Collaborateurs : Henri Chauvet, Jacques Lavot
  • Programmation 1956/1960
  • Projet 1960
  • Début des travaux  1961
  • Réception provisoire  1963
  • Réception définitive 1965
  • Surface utile : 4846 m2
  • Gros œuvre : Jerphanion
  • Plâtrerie : Heyraud
  • Carrelage : Roche
  • Etanchéité : SMAC
  • Menuiseries intérieures : Vialle
  • Menuiseries extérieures : Barberis
  • Chauffage : Rougnon
  • Plomberie, sanitaires : Sanceau
  • Électricité : EGET
  • Vitrerie : Alazard
  • Peinture : Heyraud
  • Serrurerie : Usine du Port Neuf
CLAIRVIVRE 2015
  • Maître d’ouvrage : Cité Nouvelle
  • Architectes : Paul Cassar, Johann Maurin
  • Designers : Julien De Souza,  Pascaline et Patrick de Glo de Besses, Fabrice Gibilaro
  • Maçonnerie : Ellipse

À voir/À lire

  • Site de Clairvivre : www.fjtclairvivre.com
  • Site de la Fondation Marta Pan – André Wogenscky : www.pan-wogenscky.com
  • « André Wogenscky et Louis Miquel à Annecy », Collection Portrait, éditions du CAUE 74
  • « André Wogenscky », Carnets d’architectes, Éditions du Patrimoine
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