Laisser en l'état
Patinoire, Le Lioran (Cantal)

> Descriptif opération


Attractive par les amples courbes douces d’une toiture en bois se relevant jusqu’à former des pointes élancées, la patinoire du Lioran conçue à la fin des années 1970 par l’architecte Vittorio Mazzucconi est d’autant plus visible qu’elle est implantée à l’écart du front bâti de la station.

D’avantage que par les assauts d’une trentaine d’hivers rigoureux, les atouts de cet élément incontestable du patrimoine du XXe siècle ont été gommés par des opérations d’entretien peu attentives, des évolutions d’usage mal maîtrisées et des réponses hâtives à des contraintes techniques ou réglementaires.

Même lorsqu’ils le considèrent avec une certaine bienveillance, les regards qui se tournent aujourd’hui vers lui interrogent la capacité de cet édifice à surmonter son vieillissement et à supporter une nouvelle évolution. Une telle attitude est fréquente : avant que des études approfondies soient conduites, il semble généralement impossible d’effacer les interventions inappropriées pour restituer les qualités spatiales et esthétiques originelles puis d’y intégrer les évolutions souhaitées. Alors l’immobilisme perdure plus que nécessaire.

Et, paradoxalement, les éléments de programmation qui pourraient conduire cette patinoire à sa perte s’énoncent en des termes similaires à ceux qui lui ont donné naissance… La différence est simplement celle de l’échelle quantitative des besoins auxquels il faut à présent répondre et celle du cadre de la gestion, la patinoire étant désormais considérée comme un centre de profit indépendant.

Caractéristiques de l’existant

Enrayer l’exode rural en intégrant la dynamique économique potentielle des loisirs dans l’aménagement des zones de montagne n’est pas, dans les années 1960, l’apanage exclusif des Alpes et des Pyrénées. Ainsi dès 1959, le Conseil général du Cantal développe l’idée puis engage à partir de 1962 le projet d’aménagement d’une station de sports d’hiver à Laveissière, commune située au cœur des Monts du Cantal. Pour mettre en œuvre les équipements prévus dans le plan d’urbanisme adopté le 25 septembre 1965, les élus départementaux et la Société de mise en valeur de la région Auvergne-Limousin (Somival) définissent trois étapes. D’abord (1965) seront créées les infrastructures, puis seront aménagés (1966-1967) les équipements liés à la pratique du ski (télésièges et téléskis, téléphérique du Plomb du Cantal) et construits (1970) les immeubles avant que soit réalisé le pôle piscine-patinoire.

Bien que de dimensions modestes comparée aux « villes à la montagne » qui s’édifient dans les massifs alpins, la station du Lioran retient le principe de tours pour réaliser son front de neige selon la proposition des architectes Legrand-Rabinel, concepteurs de nombreux grands ensembles en région parisienne et des stations de sports d’hiver des Menuires et des Orres dans les Alpes. Mais, la dualité de l’architecture des années 1970 s’exprime jusque dans les Monts du Cantal : alors que l’on transpose en montagne les immeubles stéréotypés des périphéries urbaines, les architectes pensent déjà à des formes plus sensibles, plus contextualisées et plus expressives. Ainsi, en contrepoint de la seule tour finalement réalisée (Sumène, 1971/1972, 13 étages, 187 studios et quelques commerces), le « Village du Haut Lioran », promu par la Société parisienne de diffusion immobilière (SPDI) se présente sous forme d’un groupe de trois résidences à taille humaine, aux silhouettes triangulaires, revêtues de bois, et reliées au sol par de larges arcades. Disposés en U, elles déterminent une esplanade centrale, un espace urbain idéal pour implanter le pôle sportif dont la station souhaite se doter. L’architecte du « Village », Vittorio Mazzucconi, est retenu pour  le concevoir. Son premier projet (1976) prend la forme d’un édifice compact à deux niveaux, le rez-de-chaussée comprenant une piscine associée à un solarium et à un bar prolongeant le hall d’entrée et l’accueil, et à l’étage, une patinoire pouvant faire office de salle polyvalente de 400 places.

Cette première proposition ne résiste pas au désir des élus de bénéficier des subventions liées aux « modèles » d’équipements sportifs résultant de la politique initiée par le secrétariat d’État à la Jeunesse et aux Sports. Le projet s’éloigne alors des résidences et se dédouble : une piscine Caneton et une patinoire Gerpiam sont pressenties. Vittorio Mazzucconi réfute cette évolution en démontrant que les skieurs et les randonneurs percevront en tous points des pistes et des chemins les toitures esthétiquement médiocres de ces deux édifices « industrialisés » ce qui  nuira à la qualité de la station. Pour une dépense similaire, il propose une architecture appropriée au caractère sensible du site. Obtenant gain de cause, il peut poursuivre son étude, simplifiée par l’abandon du projet de piscine, mais rendue complexe par la médiocrité du sol et l’ambition du programme. La piste centrale de la patinoire (40 x 20 m), associée à des gradins prévus pour 300 personnes, doit accueillir le patinage « d’initiation et de détente » et le hockey sur glace. Mais elle doit aussi pouvoir se transformer en salle polyvalente dédiée aux activités sportives (volley-ball, tennis et ping-pong, bowling), culturelles (conférences, théâtre, danse, cinéma, expositions) et économiques (réunions, assemblées, congrès). Cette polyvalence extrême est rendue possible par l’adoption d’une aire de patinage en matière synthétique, appropriée à la pratique des sports « de glace »  mais ne diffusant pas le froid nuisible au développement des autres activités.

Baptisée L’arche des neiges, l’édifice est remarqué par la presse professionnelle : il entretient un dialogue sensible avec les formes des montagnes qui le dominent. Il leur emprunte l’ampleur de leurs courbes, la douceur de leurs inflexions géométriques, le velouté de leurs prairies, la tension de leurs arrêtes sommitales…

Procédure

Cet harmonieux volume est couvert d’une puissante charpente exécutée dans l’un des matériaux phares des années 1970, le bois lamellé-collé. Sa toiture se déploie selon des paraboloïdes hyperboliques donnant une forme dite « en selle de cheval »,  très usitée depuis l’édification par Le Corbusier et Iannis Xenakis du Pavillon Philips pour l’exposition universelle de Bruxelles en 1958. Ses arcs reposent sur de puissantes culées maçonnées et ménagent d’amples baies vitrées périphériques aux fines menuiseries. Néanmoins, cet édifice remarquable naît avec trois handicaps : sa piste en matériau synthétique n’est pas appropriée aux compétitions ; sa forte personnalité esthétique le rend particulièrement sensible à toute intervention maladroite ; l’équilibre projeté entre les recettes (entrées, location des patins, consommations au bar), l’amortissement de l’investissement et les dépenses d’entretien s’avère irréaliste.

Interventions

De fait, l’exploitation de la patinoire bascule avec le succès grandissant de l’équipe de hockey sur glace, Les Mouflons du Lioran. Pour que l’équipe puisse poursuivre sa progression, en 1993 une piste en glace est substituée à la piste synthétique. Cette transformation met à mal la polyvalence notamment culturelle puisque désormais le froid régnant dans le volume intérieur s’oppose à toute station assise prolongée et, par conséquent, au bon déroulement des spectacles, des réunions, des colloques et des expositions. La baisse des recettes qui en résulte accroît les difficultés de gestion. Pour y remédier, une mezzanine est créée : elle permettra de louer un espace suffisamment vaste pour les réunions associatives, professionnelles ou festives. Suspendue à un arc métallique cintré qui traverse l’espace intérieur, cette nouvelle surface se développe en porte-à-faux sur une partie de la piste. Bien que fermée par des parois vitrées, elle casse la perception du volume intérieur de l’équipement et jette dans l’obscurité un tiers de la surface de la patinoire.

À cette dégradation de l’esprit architectural initial s’ajoutent au fil des ans des interventions malvenues. Des aéroliques sont déployés sous la charpente, des renforts métalliques sont posés à vif sur les poutres en lamellé-collé (un bureau d’études les ayant soupçonnées de ne pouvoir supporter le poids de la neige). Une entrée est percée dans une proue aveugle et le nouvel espace d’entrée est aménagé dans un esprit montagnard. Des gouttières sont ajoutées à tort et à travers. D’innombrables éléments parasites relevant de l’énergie, de la signalétique ou des réseaux de fluides dénaturent les façades. Ces maladresses s’ajoutent aux signes usuels de vieillissement, notamment des menuiseries, pour accréditer la perception d’une patinoire ayant vieilli jusqu’à devenir obsolète.

La gestion par centres de profit qui déconnecte l’exploitation (déficitaire) de la patinoire de celle (excédentaire) des remontées mécaniques éloigne encore  les chances d’une réhabilitation puisqu’elle rend plus impérative encore la nécessité des recettes apportées par les spectacles et la location de l’espace à des familles, à des associations ou à des entreprises…  La seule chance de survie de cette patinoire est que ce besoin vital de polyvalence créatrice de recettes soit résolu par sa mise hors glace totale. Or, c’est justement ce que permettent les nouvelles pistes réalisées en matériaux synthétiques… Comme aimait le penser les écrivains de science-fiction des années 1970, le temps procède aussi par boucles.

Au-delà de ses formes expressives et de son espace intérieur harmonieux, cette patinoire retient l’attention pour plusieurs raisons extérieures au Lioran. Vittorio Mazzucconi la conçoit l’année où il signe le siège de l’agence de publicité John Walter Thomson situé 22 avenue Matignon à Paris et dont le promoteur est également Léon Bernard Carat (SPDI), immeuble qui suscitera une vive polémique. L’immeuble suscitera une violente polémique. Elle concrétise la présence des architectes étrangers en France, initialement favorisée par André Malraux pour que Marcel Breuer, Oscar Niemeyer, Alvar Aalto, Richard Neutra, puissent signer des créations en France. Cette présence fonctionne par attractions nationales successives venant enrichir le paysage urbain et irriguer l’enseignement professionnel : aux architectes espagnols dans les années 1970, succéderont les praticiens italiens dans les années 1980, les professionnels hollandais dans les années 1990, et enfin les architectes japonais au tournant du siècle… Enfin la patinoire se relie aux nombreux projets que Vittorio Mazzucconi étudia en France : l’urbanisation de Le Mé-sur-Seine, l’aménagement de la zone du canal à Nancy, le centre culturel de Saint-Germain-en-Laye, le siège social de Jean-Claude Decaux à Neuilly, ses participations aux concours pour l’aménagement du quartier des Halles, la Tête Défense, le Parc de la Villette, l’Opéra Bastille ainsi que l’ensemble résidentiel qu’il édifie avenue d’Italie à Paris. Comme de nombreux éléments du patrimoine du XXe siècle la patinoire du Lioran mérite d’être évaluée pour elle-même mais aussi pour ce à quoi elle est historiquement reliée.

  • Maître d’ouvrage : Conseil général du Cantal
  • Maître d’ouvrage délégué : Somival
  • Architecte : Vittorio Mazzucconi
  • Ingénieur : Jean-Marie Hereng
  • Projet : 1977
  • Permis de construire : avril 1978
  • Réalisation : 1979
  • Réception des travaux : octobre 1980

À voir/À lire

©2017 URCAUE Auvergne-Rhône-Alpes