Reconvertir
Usine, Le Puy-en-Velay (Haute-Loire)

> Descriptif opération


Une triple dimension patrimoniale marque le site Fontanille. Celle d’une famille passée du commerce de la dentelle en 1860 et à sa fabrication mécanique dès le début du XXe siècle grâce à l’importation des métiers à tisser puis son évolution vers le textile, jusqu’à la crise économique qui lui sera fatale sous sa forme d’exploitation familiale au milieu des années 1980. Celle d’un site, aménagé dans la quartier des Capucins au tournant du XXe siècle sur le modèle des filatures du Nord de la France avec la compacité de ses locaux réunis sur une plateforme créée de toutes pièces, ses longues files de sheds, ses structures porteuses et ses adjonctions périphériques dans les années 1930 qui débordent dans la pente et son voisinage avec une ligne de chemin de fer. Celle d’une ville dont la notoriété nationale et internationale a été liée, et reste intimement liée, à la production des dentelles, à ses métiers et à leurs savoir faire mais dont l’existence a été mise à mal par les chocs économiques successifs et la concurrence internationale en dépit d’évolutions vers des productions textiles à forte valeur ajoutée.

Le site Fontanille ferme en 1984. Abandonnés comme de nombreux autres dans la cité, ces locaux ne sont pas détruits dans les dernières années du XXe siècle mais font l’objet d’un projet de reconversion dès le début du XXIe siècle dans le cadre de la politique municipale de rénovation de l’offre de logements.

L’opération combine des maisons de villes en accession et des appartements de type HLM. L’exemplarité de la démarche conduite par l’architecte Laurent Thomassin et l’Opac 43 porte sur le processus d’intervention sur la matière existante, des mètres carrés désaffectés. Les locaux existants ont été découpés selon une logique stricte : constituer des sous-ensembles indépendants les uns des autres et offrant une volumétrie similaire, de sorte que les interventions des entreprises soient rationnalisées. Respecté, l’esprit initial des lieux est même souligné par le dégagement d’éléments structurels et l’adjonction de signes contemporains sur certaines entrées. La relative austérité potentielle de l’ensemble est compensée par l’apport de bardages bois qui donnent aux façades un cachet domestique et par un remarquable travail sur les espaces extérieurs où des plantations denses et harmonieuses forment des transitions effectives  entre des circulations piétonnes généreuses – ouvertes sur le quartier et la ville – et les entrées des différents logements.

Caractéristiques de l’existant

Souvent chez les industriels du XXe siècle, la commande d’une usine à un architecte précède la commande d’une demeure privée au même professionnel. C’est l’attitude inverse qu’adopte Jean-Baptiste Fontanille puisqu’il confie d’abord la construction de sa propre maison à Achille Proy. Cet architecte originaire de la région lilloise s’est installé au Puy en 1895 et a rapidement été nommé architecte d’une ville active dont la population avait doublé entre 1800 et 1900. De cette commande résulte une imposante demeure édifiée rue des Capucins en style néo-gothique, connu sous le nom de « château de la Bourzade ». Du haut de son coteau, elle domine le site de l’usine que cet industriel commande à Achille Proy notamment pour mettre en exploitation les nouveaux métiers à tisser qu’il rapporte d’Allemagne pour mécaniser la production des dentelles. L’architecte conçoit des bâtiments évoquant les grandes filatures du Nord. L’habitation et l’usine consacrent d’une façon éclatante la réussite d’une famille où le goût d’entreprendre s’associe au sens de la gestion. L’une et l’autre relient étroitement le site des Capucins au patrimoine « début XXe » du Puy-en-Velay où les œuvres d’Achille Proy sont nombreuses : imposantes maisons ou immeubles de rapport édifiés pour les dentelliers et les distillateurs tels La Coupole ; bâtiments  industriels dont ceux de La Prunelle du Velay  (1899), de La Verveine du Puy  (1906) et de La Distillerie Bonnet ; édifices publics dont la Bibliothèque municipale (1897), la Caisse d’Épargne (1900), l’hôpital Emile-Roux (1921) et les abattoirs ; établissements d’enseignement telle l’École pratique de la Chambre de commerce et d’industrie, les écoles Lafayette et Jeanne d’Arc. Les Fontanille lui furent fidèles jusqu’aux dernières années de sa vie, puisqu’ils lui commandèrent deux études d’immeubles dont un d’habitation en 1932 et en 1935.

Procédure

Vingt ans après l’arrêt de la production sur le site des Capucins, l’Opac 43 acquiert l’ancienne usine. Deux concours d’architecture lui seront nécessaires pour déterminer la meilleure façon de transformer ces locaux industriels en un ensemble de logements assurant simultanément une mixité sociale à la Ville et aux futurs habitants, et un équilibre financier au promoteur social qui reçoit le soutien de l’Agence nationale de rénovation urbaine pour vingt logements en « acquisition-amélioration ».

La proposition finalement retenue est celle d’Axis fondée par Laurent Thomassin. Basée à Troyes, au sein d’un ancien bassin d’activités ayant également été meurtri par les évolutions économiques, cette agence d’architecture a acquis une véritable expérience des interventions sur des sites industriels désaffectés. À Troyes, elle reconvertit deux  anciennes usines de bonneterie : Thibord (en logements de type loft ou traditionnels) et Bonbo (en centre tertiaire et logements). Elle redéveloppe également l’ex-site de la société Vachette en y créant logements, commerces et bureaux, et elle transforme en logements une manufacture de papier du groupe Bolloré. À Wesserling, elle convertit une Manufacture d’impression sur tissu en espace d’activité et en équipements collectifs. À Metz, elle transforme la Manufacture des tabacs en logements, commerces et bureaux.

La diversité de ses interventions illustre l’évolution du regard qui s’est produit depuis les premières interventions conduites par les architectes Reichen et Robert à Roubaix et à Elbœuf sur deux édifices industriels emblématiques brusquement vidés de leur substance par la crise économique. Ce qui apparaissait alors comme une performance acrobatique s’est au cours des dernières décennies étendue à tous les territoires, à toutes les configurations spatiales, à tous les types d’édifices pour toutes formes d’usages publics ou privés. Si une part d’imprécision financière reste attachée à ces interventions dans l’existant, la capacité des locaux industriels désaffectés à donner naissance à des habitats et à des espaces extérieurs non standards, à créer une diversité urbaine, à instiller dans la ville des îlots de mémoire tout en s’inscrivant dans une démarche environnementale de réutilisation de matériaux est à présent largement prouvée. L’intervention sur le site Fontanille atteste de la capacité opérationnelle désormais atteinte sur ce type de locaux.

Interventions

Le programme comporte la création de soixante-dix huit logements sociaux dont treize en accession. La proposition retenue consiste à mixer les interventions : une partie des logements sera installée dans les anciens locaux industriels reconvertis, quelques autres dans des locaux rénovés et le solde – neuf maisons de ville de type 4 en duplex – installées dans des constructions neuves.

La démarche d’Axis consiste à limiter les démolitions à quelques constructions parasites périphériques. En revanche, les architectes proposent de procéder à des déconstructions très sélectives, déterminées en fonction d’une stratégie opérationnelle extrêmement précise : dégager de longues bandes identiques de logements séparées par des espaces tampons paysagés. Ainsi, ils rendent les interventions de reconstruction répétitives et donc aussi économiques que possible. Cette dédensification réfléchie apporte également lumière, soleil et air au cœur de la masse bâtie compacte de l’ancienne usine. Elle favorise enfin l’identification aisée par leurs occupants de chaque nouvel ensemble résidentiel, d’autant que chacun se voit désigné par un nom en relation avec l’histoire du site. Les trois principales bandes sont dénommées Les Canettes, Le Grain d’orge et Le Point d’esprit. Une quatrième bande associe Le Jacquard et Le Battant. Un volume perpendiculaire faisant écran avec la rue de Latour Maubourg est dénommé l’Ourdissage et il est complété par le petit volume de La Mécanique marquant l’ancienne entrée principale de l’usine.

Dans ce cœur de l’opération est appliquée une double stratégie architecturale : donner à ressentir le passé industriel et créer un cadre de vie résidentiel. La dimension mémorielle est affichée par les vagues déferlantes des toitures en forme de sheds recouvertes de lourdes tuiles mécaniques de couleur rouge, par la mise à nu de structures métalliques à des fins utilitaires (tonnelles devant chaque logement de L’Ourdissage, stationnement protégé face au Point d’Esprit) et par la présentation de discrètes traces architecturales éparses des édifices d’origine. S’y ajoute l’apport de signes contemporains tels les auvents surmontant chaque porte d’entrée dans un logement ou l’insertion de linteaux en fer au-dessus des portes des deux logements de La Mécanique…  En contrepoint, le présent résidentiel est affirmé la coexistence de longères et de maisonnées, par le bardage bois ou le crépi des façades, les dimensions des ouvertures. Le remarquable traitement des espaces collectifs, des allées dallées conduisant au seuil de chaque logement aux traitements végétalisés des jardins et des entrées de maisonnées, y contribue fortement, d’autant que le travail sur les végétaux ne cède pas aux recettes du moment mais s’attache véritablement à marquer les espaces pour accompagner les différentes facettes de la vie qui s’y déroule.

Ce cœur de l’opération est physiquement délimité à ses deux extrémités. L’une est dominé par des constructions étagées dans la pente latérale du site, ensemble bâti dont l’esthétique se rapporte aux années 1930. Changement de gabarit, de volumétrie, de la disposition des ouvertures, d’esthétique : la  singularité de cet îlot est affirmée par la blancheur retrouvée de ses façades. L’autre est signifiée par deux volumes neufs de maisons de ville accolées, proposant des logements en duplex qui proposent une écriture discrètement modernisée des constructions du cœur du site.

L’intervention est complétée par la création d’une aire de stationnement aérienne et par la création d’un parking souterrain, dont l’entrée se glisse au creux du point bas du site. Enfin, l’opération restitue l’ambiance initiale des lieux sur la rue Latour Maubourg dont la haute façade conserve ses petites fenêtres et la mémoire de ses portes cochères dont l’une, préservée, accueille la devanture d’une épicerie associative.

Une implantation industrielle sans caractéristique architecturale ou constructive majeure est reconvertie en treize volumes d’habitation diversifiés, répondant pour l’essentiel aux exigences des normes BBC et THPE. Ce quartier d’un hectare et demi à l’apparence simple, offre des volumes, des espaces, des perspectives, des dénivellations, des points de vue sur la ville, un esprit particulier, des senteurs et des coloris, des détails et des matières ainsi qu’une densité spécifiques. Cet instant d’urbanité se love entre les chantiers d’une reconquête urbaine en cours et les immeubles et villas des années 1950/1960 disséminés sur la colline voisine dont la construction fut sans doute liée à la présence de l’usine Fontanille.

L’USINE FONTANILLE INITIALE
  • Maître d’ouvrage : Famille Fontanile
  • Architecte : Achile Proy
  • Réalisation 1906/1908
LE SITE FONTANILLE RECONVERTI
  • Maître d’ouvrage : Opac 43
  • Maître d’ouvrage associé : Logivelay
  • Architectes : Laurent Thomassin
  • Architecte associé : M. Wawrzyniak
  • BET structures : Lamalle ingénierie
  • BET fluides : AVP ingénierie
  • Contrôle technique : Apave
  • Coordination : Dekra
  • Gros œuvre : Barbalat
  • Charpente bois : Pages
  • Couverture : Crepin
  • Ossature bois et bardage : Faure
  • Etanchéité : Etape
  • Enduits façade : Cie française des façades
  • Menuiseries extérieures bois : Matériaux composite du centre
  • Menuiseries intérieurs : Gatel
  • Peinture : Bâti et Déco
  • Platerie isolation : Bâti et Déco
  • Carrelage, faïence : Changea
  • Serrurerie : Gire
  • Electricité : Saby
  • Plomberie : Bastin
  • Chauffage VMC : Perrussel
  • Revêtements de sols : Auax basic system

 

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