Reconvertir
Usine de décolletage, Cran-Gevrier (Haute-Savoie)
> Descriptif opération

Les opérations de reconversion d’édifices du XX^e siècle sont essentiellement initiées par des collectivités territoriales souhaitant valoriser leur patrimoine, des organismes de logements sociaux conviés à redonner un élan à des territoires industriels tombés en déshérence, des investisseurs institutionnels ou privés à la recherche d’opérations significatives dans des espaces désormais intégrés au centre des agglomérations. Plus rares sont les petites entreprises s’engageant dans la transformation de locaux industriels en espaces tertiaires. L’un des exemples les plus aboutis en la matière demeure le « coup de pub » réussi par l’agence Roux-Seguela-Cayzac-Goudard dans les années 1980. Quittant les prestigieux quartiers du centre de Paris ou de Neuilly qu’affectionnaient ses rivales, elle reconvertit une halle d’esprit Eiffel dans les friches urbaines d’Issy-les-Moulineaux. Trois décennies plus tard, une étude notariale gère un transfert similaire : elle quitte le centre historique  huppé d’Annecy pour se glisser dans une banlieue populaire. Elle réaménage et agrandit les locaux d’une petite manufacture dans le cadre d’une démarche professionnellement, esthétiquement et culturellement réfléchie.

Intérêt

Très présentes dans l’habitat collectif du centre de la ville d’Annecy, les formes architecturales des années 1930 se diffusent toujours dans l’immédiat après-guerre et gagnent d’autres typologies. L’usine édifiée en 1947 par l’architecte Saint Galmier pour la société Souzy – puis étendue au cours des années 1960 dans le même esprit – en témoigne. Désaffectée à la fin du XX^e siècle, elle est acquise par une étude notariale qui quitte le quartier central de La Manufacture pour s’installer « entre Quick et Speedy » dans un quartier mixant habitat populaire et locaux d’activités.

Ce choix permet également la conservation d’un édifice qui témoigne de l’activité industrielle développée à Annecy à partir des bassins traditionnels des vallées savoyardes et d’un savoir-faire apporté par les travailleurs transfrontaliers. C’est ce socle qui favorisera l’attractivité de la ville lors de la déconcentration administrative et industrielle des années 1960 qui précédera de deux décennies la décentralisation de 1982.

Caractéristiques de l’existant

Des volumes dépouillés, des ouvertures répétitives aux fenêtres standardisées, des détails constructifs épurés proposent une image qui se rattache plus à une fabrique artisanale qu’aux locaux d’une grande industrie. Les dimensions de la construction elles-mêmes le confirment.. L’effet est accru par la présence de deux maisons, dont une accolée au volume. L’ensemble s’inscrit dans un terrain agrémenté d’arbres dont un cèdre majestueux. La structure en béton présente l’avantage d’offrir des planchers dépourvus de tout point porteur, ce qui facilite une reconversion en espaces tertiaires.

Procédure

Le projet fait l’objet d’une commande directe par l’étude dont l’un des associés fondateurs est féru d’architecture contemporaine.

Interventions

À l’expression bâtie de la petite industrie, l’agence Brière et Brière substitue celle d’un espace tertiaire de standing. Pour cela, les architectes agissent sur un nombre restreint d’éléments.

Ils modifient l’image globale de l’édifice existant. À l’aide d’une unique peinture appliquée à l’ensemble du bâtiment, ils gomment les éléments qui fractionnaient la perception des façades, donnant ainsi une unité forte à l’ensemble et établissant une image implicite de siège social. Cette évolution est confortée par le caractère vert du site et la distance établie entre les bureaux et l’aire de stationnement.

Intérieurement, cette référence tertiaire est confirmée par l’implantation des bureaux de part et d’autre d’un couloir axial. Elle l’est également par la monumentalisation de l’extension frontale regroupant l’accueil et des salles de réunion, vers laquelle convergent clients et visiteurs. Cette structure de verre et de métal renvoie à de nombreuses mairies récemment réalisées ou agrandies, ce qui, par analogie, consolide le caractère institutionnel de l’étude notariale. De façon complémentaire, les architectes institutionnalisent l’étude notariale par la mise en scène de l’impressionnante quantité de dossiers archivés, en leur dédiant une construction spécifique de deux niveaux dont l’un partiellement enterré : clients et visiteurs en longent la façade, intégralement vitrée et transformée en écran où se développent des sérigraphies.

Mémoire, image institutionnelle et réputation de l’étude s’entrecroisent donc pour contrebalancer ce que le contexte pourrait avoir de troublant pour la clientèle et valoriser la dimension culturelle portée par l’architecture et donc la part de valeur ajoutée par le conseil apportée par une charge ainsi positionnée.

C’est ce que confirment le choix des matériaux retenus pour l’aménagement des bureaux, la dimension des circulations intérieures, les dispositifs pratiques destinés à préserver la discrétion des rendez-vous, la mise en valeur de l’organisation fonctionnelle du traitement des dossiers et la célébration de l’histoire des lieux à travers un mini musée jouxtant la salle d’attente. Architecture et culture constituent les vecteurs de l’affirmation d’une rupture dans la pratique d’un métier souvent identifié comme porteur d’un indépassable classicisme.

• Architectes : Paul Saint-Germier (1945) et Brière Brière et Brière Architectes (2007)
• Maîtres d’ouvrage : Pierre Souzy (1945) et SNC Factory (2007)

À voir / À lire

• « Références» sur le site du CAUE de Haute-Savoie : www.caue74.fr
• Site de l’agence d’architecture Brière www.brierearchitectes.com/references/la-manufacture/